Plongeons ensemble dans les souvenirs

“Je ne pensais pas avoir autant de souvenirs.”

“J’ai toujours écrit facilement mais lorsqu’il a fallu écrire ma vie, impossible de le faire seule.”

“Ça me fait du bien. C’est comme une thérapie.”

Souvenirs d’enfance

Ce n’est pas la vue d’un élément qui m’a replongée dans mes souvenirs mais plutôt une absence, celle des arbres. Lorsque j’étais écolière, de grands platanes encadraient cette cour de récréation. Que j’aimais ces platanes ! Je passais beaucoup de temps à admirer la lumière dans les feuillages et j’appréciais toujours de les voir danser avec le vent. J’entends encore le bruissement des feuilles. L’automne, elles étaient magnifiques, colorées et nous récupérions toujours les feuilles tombées pour faire des personnages. Ces platanes étaient également importants pour beaucoup d’entre nous à cause de leurs racines qui couraient dans la cour de récréation et offraient un formidable terrain de jeux pour nos parties de billes. Je me revois encore me concentrer avant un tir pour contourner ou sauter une racine qui se trouvait entre ma bille et celle de mon camarade de jeu. Je devais avoir huit ans. Je sens encore la dureté du sol sous mes jambes repliées. Il y avait toujours des petits cailloux qui venaient se loger sous le pantalon et rendaient la position inconfortable. Peu importe, nous étions concentrés sur le jeu. Il n’était pas rare que nous allions jusqu’à nous allonger pour mieux viser. Nos mains posées sur le sol froid, rugueux, poussiéreux. Je ressens encore la présence des autres enfants autour de moi qui attendent leur tour. J’entends vaguement deux d’entre eux, derrière moi, parler de billes et de calots. La partie terminée, je me revois observer nos trésors avec eux. Un garçon brun, plus vieux que moi, parle. Il dit que les calots valent plus que les billes et qu’il en a beaucoup. Une petite fille blonde à côté de lui se met à montrer ses billes chinoises, des billes plates qui viennent juste d’apparaître dans les magasins et que tous les enfants rêvent d’avoir. Je me souviens qu’à les écouter, j’avais moi aussi très envie d’avoir des calots et des billes chinoises.

Entre deux guerres

Comme tous les matins, le premier son que j’entends est celui du coq. J’entrouvre les yeux. Je distingue à peine les lueurs de l’aube. Il est tôt, très tôt. Je m’assois lentement sur le lit et me frotte le visage des deux mains. Je n’ai pas très bien dormi. Le froid me fait frissonner. Le mois de novembre se fait bien sentir en dehors des couvertures et de l’édredon. J’attrape rapidement les vêtements que j’ai laissés au pied du lit et m’habille silencieusement pour ne pas réveiller Anatole. Le travail à la ferme et aux champs est harassant et il a bien besoin des quelques minutes de sommeil qu’il lui reste. Je pose ma main gauche sur le mur pour me guider dans le noir et atteins la porte. Je descends ensuite l’étroit escalier en bois en prenant bien soin de sauter la troisième marche pour ne pas qu’elle grince. Je souris en repensant à la première fois que j’ai fait grincer cette marche. C’était il y a un an. Je venais d’épouser Anatole et montais à l’étage de la maison pour la première fois.

Je connaissais cette maison depuis l’enfance pourtant. Cette dernière faisait partie des nombreuses fermes des environs. Pendant la guerre, ma mère venait souvent avec mon frère, mes sœurs et moi pour aider. L’entraide avait été l’un des moyens pour nous, paysans, de survivre. C’est comme ça que j’avais rencontré Anatole qui vivait ici avec sa mère et ses cinq frères et sœurs. J’avais alors sept ans. Mais ma préoccupation principale à ce moment-là n’était pas de jouer avec de nouveaux camarades. Je me demandais surtout si nous pourrions obtenir du beurre avec la carte d’alimentation que venait de nous distribuer le maire.

Vie contée

Il était une fois une petite fille qui avait un cœur énorme. Son cœur était si gros qu’elle ne voyait pas ses pieds. Avec un cœur aussi grand, elle avait beaucoup, beaucoup de joie et d’amour à donner. Surtout qu’à chacun de ses pas, son cœur faisait jaillir des paillettes sur tout ce qu’elle voyait. Le monde est beau avec un cœur aussi gros. Mais voilà, bien souvent, elle n’y voyait plus grand chose. Alors pour ne pas rester aveugle, la petite fille devait souffler et souffler encore. Elle trébuchait bien souvent mais elle s’en fichait, elle continuait à avancer. Le monde était si beau !

Un jour, elle souffla si fort qu’elle recouvrit de paillettes un garçon qui passait par là. Pour la remercier de lui avoir montré un monde si beau, il prit la jeune fille par la main pour la guider et elle put enfin respirer normalement. Le chemin fut bien plus facile alors. Mais avec un cœur aussi gros, il fallait rester forte. En effet, la moindre branche, la moindre barrière sur le chemin, venaient heurter le pauvre cœur qui prenait tant de place. Petits bleus à petits bleus, le cœur avait de plus en plus de mal à faire jaillir ses paillettes, même si la main du garçon l’aidait à garder de belles couleurs.

Jusqu’au jour où la jeune fille fut heurtée si violemment qu’elle trébucha un peu puis tomba en avant.